Cher Concorde,
Grâce à toi, nous savons que Dieu écrit à la main: tu es son stylo-plume. Tu m'as toujours fait l'effet d'un Mont-Blanc géant. Dans le ciel, tu rédiges tes longs courriers. La stratosphère est ton papier à lettre et l'atmosphère, ton buvard.
Car toi qui ne fait jamais escale, tu es pourtant le roi de la correspondance. Plus rapide qu'un fax, tu es plus romantique qu'un e-mail. Plume au vent, ton style décolle. Tu nous embarques dans des histoires vertigineuses. Tu es direct, mais jamais terre à terre. Normal qu'à de telles altitudes, tu sois un peu dans la lune. C'est ton côté poète.
Tu es aussi très réactif. Mais tu n'as pas le temps d'écrire des romans - alors tu signes des nouvelles. Rassure-toi: elles volent très haut. Tu les écris sur deux lignes: Londres-New York et Paris-New York. Deux lignes qui tirent un trait entre deux mondes, et se moquent des fuseaux. Célinien, tu voyages au bout de la nuit. Proustien, le temps perdu te rend malade.
On dit, cher Concorde, que l'amour donne des ailes. Eh bien nous t'aimons. Chez nous, tu as toujours ta place - la place de la Concorde. Oui, au féminin car nous t'aimons comme on aime une femme et cette place n'est pas située à Paris, mais dans nos coeurs. D'ailleurs, la proximité de l'Elysée ne te servirait à rien: tu es notre élu depuis longtemps.
Excuse, cher Concorde, cette lettre aussi lyrique qu'un coucou d'avant-guerre, mais je suis ému. Surtout depuis que je sais que tu vas voler de nouveau: à nous la Terre Promise, à toi le Ciel promis. Pardonne ce calembour au ras des pâquerettes, mais j'espère que ce ne sont pas des promesses en l'air.
Je vais te faire un aveu: je ne suis jamais monté à ton bord - il me reste comme ça quelques expériences inédites à réaliser: faire l'amour à Sharon Stone, battre Fischer aux échecs, être enfermé dans un loft avec une blonde aux gros seins et un very important névropathe marseillais, et, enfin, voyager en Concorde.
C'est que tes prix aussi, crèvent les plafonds. Tant pis: on rêve mieux au sol, la tête dans les étoiles. Le paradis n'a de sens que sur la terre ferme. Mais je sais, cher Concorde, que tu n'es pas prétentieux. Tu regardes le monde d'en haut, mais jamais de haut - exactement comme les grands écrivains.
Pour ton prochain départ, j'espère que tu n'auras pas l'angoisse de la page bleue. Que parmi les fuseaux horaires, tu trouveras le temps d'écrire un nouveau livre - ou, au moins, une nouvelle page d'Histoire. Car tu n'as encore rien publié depuis le siècle dernier. Pour un auteur moderne, ça craint un peu. Mais l'avenir se lit dans les astres. Ca nous rapproche de chez toi.
Yann Moix
(avec l'aimable autorisation d'Europe 1)